Le Sénat entame une réflexion ambitieuse sur les retombées, les opportunités, les potentialités et les risques de la « société intelligente » numérique.
Dès mon retour au Sénat, j’ai souhaité, avec le groupe socialiste, lancer une réflexion approfondie sur l’enjeu sociétal que représente aujourd’hui la digitalisation et l’intelligence artificielle.
Le monde politique manque parfois de recul et de prospective lorsqu’il aborde la révolution numérique en préparation, en particulier la robotisation et l’irruption de l’intelligence artificielle. Cette quatrième révolution industrielle risque pourtant bien de provoquer, dans les dix à vingt ans à venir, un séisme de nature à déstructurer le difficile équilibre entre la prospérité économique à la base d’une redistribution solidaire des richesses, la volonté d’une innovation permanente et la place centrale que doit occuper l’humain dans tout choix politique.
Des démarches d’analyses parlementaires approfondies ont également été menées par le Sénat et l’Assemblée nationale en France pour préparer cette transition majeure de notre société (post)moderne.
Dans notre pays, les Régions et les Communautés adoptent des stratégies numériques, la Chambre a lancé un groupe de travail sur le sujet et les pouvoirs locaux se lancent dans les dynamiques de SmartCities.
Le Sénat a une double pertinence dans cette démarche puisque les compétences des entités fédérées et du Fédéral s’entremêlent sur ce sujet extrêmement vaste et nous avons également démonté à de multiples reprises notre qualité dans l’analyse des grands enjeux de société en ce compris pour ce qui concerne la dimension éthique des changements qui s’annoncent.
Les aspects à traiter sont innombrables tant les applications de l’intelligence artificielle se multiplient au fur et à mesure du développement de nouveaux algorithmes, de la multiplication des jeux de données et de l’accroissement de la puissance de calcul. Ces données qui s’accumulent, ce sont les nôtres, il est donc important de savoir ce qu’elles deviennent !
La question de l’opportunité du développement du numérique, de l’intelligence artificielle et de la digitalisation ne se posent plus. Mais l’intelligence artificielle n’est pas une fin en soi, notre rôle de Sénateurs est de déterminer quelle complémentarité nous voulons entre l’humain et les systèmes intelligents, de faire en sorte que l’intelligence artificielle soit libératrice plutôt qu’aliénante. Pour le dire autrement, nous devons penser ce que sera demain et penser la place que nous souhaitons donner à la machine par rapport à l’humain.
En concertation avec les autres groupes politiques signataires de cette demande de rapport d’information, nous avons travaillé à la finalisation d’un texte équilibré qui identifie la multitude d’opportunités qui découlent de la révolution numérique mais également les risques et les inquiétudes que ces changements pourraient provoquer pour une partie de la population.
Nous avons également balisé le travail pour éviter toute redondance avec le groupe de travail « Agenda robonumérique » de la Chambre en nous concentrant sur les matières transversales aux Régions, aux Communautés et au Fédéral.
Ainsi le rapport d’information proposé se focalisera sur les défis que le développement de l’Intelligence artificielle soulèvent dans divers domaines :
- Dans l’éducation, à l’heure où des expériences pilotes commencent dans les écoles avec des robots en cours de langues.
- Dans le domaine juridique où l’IA prend de plus en plus en plus de place : certaines tâches juridiques peuvent en effet être assurées par des robots.
- Dans le domaine de la responsabilité des machines, par exemple en ce qui concerne les enjeux éthiques et les règles morales des voitures sans conducteurs.
- Dans le domaine médical où la robotisation sauve des vies mais où le courant du transhumanisme, donc de l’humain ‘augmenté’, pose de sérieuses questions morales.
- Dans la recherche où c’est un enjeu crucial car l’intelligence artificielle est également un enjeu de puissance : l’avance américaine en IA est redoutable ! Les USA et la Chine sont à la pointe parce que les investissements sont largement supérieurs à l’Union Européenne si bien qu’on commence à parler de « colonies numériques ». Ce phénomène s’accompagne d’une fuite des cerveaux vers les géants américains.
- Dans le monde numérique qui est un monde de données. Celles-ci sont au cœur du développement de l’IA et bénéficient à un petit nombre d’acteurs très puissants qui enferment les capacités d’innovation dans leurs entreprises.
- Dans l’apprentissage, tout au long de la vie : sujet fondamental dans une société en permanente mutation où les travailleurs doivent être outillés pour pouvoir obtenir des emplois de qualité.
- Dans le domaine du marché du travail. Malgré la robotisation, la protection des travailleurs peu ou pas qualifiés demeure une priorité des socialistes !
- Au sein de l’entreprenariat, en lien avec les politiques d’éducation et de recherche.
- Dans la vie en société, notamment à propos des questions de vie privée, d’inclusion numérique et des nouvelles opportunités pour la culture.
- Et enfin au sein de la dimension éthique qui est une problématique transversale à l’ensemble de cette question.
La transition sociétale que représente le développement de l’intelligence artificielle soulève ainsi à tout moment des questionnements éthiques qu’il appartient aux élus d’examiner. Cette thématique est donc indispensable dans l’ensemble des travaux parlementaires sur le sujet.
Aujourd’hui, le Sénat a voté cette demande de rapport et notre assemblée se penchera donc dans les prochains mois sur cette problématique centrale.
Ce rapport permettra aux Sénateurs de se saisir avec enthousiasme et volonté de la manière dont il faudra accompagner cette transition, l’intégrer dans une démarche inclusive où les nouvelles technologies et la robotisation servent l’humain sans l’asservir et en profiter pour que notre pays soit à la pointe tant au niveau du développement de l’innovation que de l’épanouissement de ses citoyens pour une société progressiste et égalitaire.